Historiens et géographes n° 343 (1994)

mardi 8 juillet 2008.
 

Les comptes-rendus de ces trois livres :

-  Moulay Belhamissi, Les captifs algériens et l’Europe chrétienne (1518-1830), Alger, Entreprise nationale du livre, 1988, 166 p. ;
-  Mahfoud Kaddache et Djilali Sari, L’Algérie dans l’Histoire, t. 5, La résistance politique (1900-1954). Bouleversements socio-économiques. Alger, Office des publications universitaires, et Entreprise nationale du livre, 1989, 283 p. ;
-  Abed Charef, Octobre, Algérie 1988. Un chahut de gamins... ?, Alger, Laphomic, 2ème édition, 1990, 270 p. ;

ont été publiés dans Historiens et Géographes n° 343, mars-avril 1994, pp. 526-527.


-  Moulay Belhamissi, Les captifs algériens et l’Europe chrétienne (1518-1830), Alger, Entreprise nationale du livre, 1988, 166 p.

L’historien algérien Moulay Belhamissi, auteur d’une thèse de doctorat d’État intitulée Marine et marins d’Alger 1518-1830, a voulu apporter une première contribution à un sujet trop longtemps occulté par l’historiographie occidentale : le sort des captifs algériens musulmans en terre chrétienne. Il l’a fait à partir de longues recherches dans les archives de la Chambre de commerce de Marseille, de l’Amirauté de Toulon, d’Aix-en-Provence, du Quai d’Orsay, et même dans celles du Vatican. Ces sources, ainsi que les travaux consultés, sont indiquées en note et regroupées à la fin du livre, et illustrées par de précieuses annexes (documents iconographiques et textes souvent reproduits en fac-similé). Les résultats sont exposés en plusieurs parties : « la tragédie », (l’esclavage et ses épisodes), « les préoccupations d’Alger » (les démarches et les pressions du gouvernement des Deys pour délivrer les captifs), et enfin le retour à la liberté ou « la fin du cauchemar ». L’auteur conclut très justement : « au récit fleuve sur les esclaves européens vivant à Alger, il faut opposer, sans passion ni parti-pris, et grâce aux bons matériaux qui restent à glaner et à analyser avec objectivité, une histoire vraie et détaillée de l’esclavage en terre chrétienne ».

Mais il donne souvent l’impression de polémiquer inutilement contre une vieille historiographie partisane, aujourd’hui dépassée par la recherche historique récente sur la course chrétienne (voir par exemple l’article de Michel Fontenay : « Les chevaliers de Malte dans le « Corso » méditerranéen au XVIIème siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, XXXV, juillet-septembre 1988) et sur le triste sort des galériens (voir les travaux d’André Zysberg).

-  Mahfoud Kaddache et Djilali Sari, L’Algérie dans l’Histoire, t. 5, La résistance politique (1900-1954). Bouleversements socio-économiques. Alger, Office des publications universitaires, et Entreprise nationale du livre, 1989, 283 p.

Deux historiens et universitaires algériens, Mahfoud Kaddache et Djilali Sari, ont traité dans ce livre deux sujets complémentaires : les formes de la domination coloniale et de la résistance de la société algérienne. Leurs deux contributions s’enchaînent plus logiquement si l’on en inverse l’ordre. Djilali Sari traite successivement les bouleversements socio-économiques (notamment la dépossession des fellahs par les colons) et la résistance culturelle, en insistant sur l’action de l’Association des Oulémas pour consolider la conscience d’une nationalité algérienne arabo-islamique. Quant à Mahfoud Kaddache (auteur d’une importante thèse de doctorat d’État sur l’histoire du nationalisme algérien de 1919 à 1951), il retrace l’évolution de la résistance politique à l’occupation coloniale, entre voie réformiste et voie révolutionnaire, de façon à montrer que si la résistance politique a succédé à la résistance armée devenue impossible, elle a créé les conditions de sa reprise victorieuse. Le propos de l’ensemble du livre est politique ou patriotique au moins autant qu’historique. Mais la démonstration est assez convaincante, grâce à un ton mesuré et à une information solide, concrétisée par un grand nombre de citations et de tableaux statistiques, appuyée sur des références précises à des sources et des travaux de qualité. En somme, une mise au point très utile même pour des lecteurs français, à condition de pouvoir se le procurer.

-  Abed Charef, Octobre, Algérie 1988. Un chahut de gamins... ?, Alger, Laphomic, 2ème édition, 1990, 270 p.

Ce livre, écrit à chaud en décembre 1988, au lendemain des émeutes d’Alger et de leur violente répression, traduit le besoin ressenti par de nombreux Algériens d’une information libre et objective sur les aspects fondamentaux de la crise, le déroulement des émeutes, les tortures et autres violations des droits de l’Homme. Le chapitre sur les conséquences politiques a été actualisé jusqu’à la Constitution de 1989, qui semblait alors ouvrir une ère nouvelle pour l’Algérie. Enfin, la conclusion passe en revue les différentes interprétations et les faits invoqués à leur appui : « explosion populaire spontanée », « catalyseur de conflits larvés » au sein du pouvoir, ou « manipulation » par des intérêts étrangers, et les discute avec objectivité sans pouvoir trancher franchement.

Cette enquête honnête témoigne par sa publication même du vent de liberté irrépressible qui a soufflé sur l’Algérie à la suite des événements qu’elle rapporte. Mais elle semble presque de l’histoire, avec le recul de trois années chargées de rebondissements de plus en plus tragiques. Le seul élément qui paraît toujours d’actualité est la tendance des autorités et d’une partie de la presse (même francophone) à incriminer le « parti de la France », amalgamant les « anciens et nouveaux harkis » et les intellectuels « laïco-assimilassionistes » comme si l’existence de la nation algérienne était encore en question plus de trente ans après son indépendance.

Guy Pervillé



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