Vingt ans après : l’attentat presque oublié du 3 décembre 1996 à la station Port-Royal du RER parisien (2016)

dimanche 4 décembre 2016.
 

Paris a connu à plusieurs reprises des vagues d’attentats terroristes qui ont causé de nombreuses victimes dans sa population, notamment en 1985-1986, et surtout en 1995, mais celles qui sont restées les plus présentes dans les mémoires sont évidemment les plus récentes et les plus meurtrières, celle du 13 novembre 2015, répétant à une toute autre échelle celle du 7 janvier 2015. Ces événements terribles nous invitent à en rechercher les origines lointaines dans un passé relativement éloigné, et relativement oublié par ceux qui n’en ont pas été directement victimes ou témoins. Mais de tous ces événements, le plus méconnu est peut-être celui qui a tué quatre personnes et en a blessé près d’une centaine le 3 décembre 1996 dans la station Port-Royal du RER parisien. Méconnu d’abord parce qu’il s’est produit un peu plus d’un an après la fin des attentats qui avaient frappé Paris et Lyon et qui auraient pu frapper également Lille durant l’été et l’automne 1995. Mais aussi parce que ses auteurs n’ont jamais été identifiés, arrêtés ni jugés. Ce qui en a fait jusqu’à nos jours un véritable mystère.

Le 3 décembre 1996, peu après 18 heures, une bonbonne de gaz remplie d’explosifs explosa dans une rame de la ligne B du RER en direction de Saint-Rémy-lès-Chevreuse, à la gare de Port-Royal (Vème arrondissement de Paris). Deux victimes moururent le jour même ; le bilan final fut de quatre morts et plus de 90 blessés.

Les faits établis par les enquêteurs peuvent se résumer ainsi : l’explosion a été provoquée par une bonbonne de gaz, cachée dans un sac bleu, et déposée au départ du RER, à la gare Aéroport Charles-de-Gaulle 2 TGV. Elle contenait de la poudre noire et du soufre, des clous avaient été ajoutés pour renforcer son effet meurtrier. Un minuteur d’un modèle courant, en vente dans le commerce à usage ménager, servait de retardateur. Ces mêmes ingrédients ayant servi à la fabrication de plusieurs des engins explosifs utilisés lors des attentats de 1995, on pouvait supposer l’origine islamiste de celui-ci. Mais l’enquête, confiée aux juges Jean-Louis Bruguière, Laurence Le Vert et Jean-François Ricard, n’aboutit à aucune suite judiciaire, faute d’éléments tangibles.

Dix ans après, une cérémonie commémorative réunit sur les lieux des familles de victimes avec le directeur de la RATP Pierre Mongin et la déléguée de l’association SOS attentats, Françoise Rudetsky. Comme le déclara un proche de l’une des victimes, « Depuis toutes ces années, nous faisons face au mutisme des autorités. Nous avons interpellé plusieurs fois les différents gardes des Sceaux qui se sont succédés, mais sans résultat » ; et il s’en étonnait : « Pourquoi ce silence ? Nous ne voulons pas croire à la thèse d’un secret d’Etat. Nous croyons toujours en la recherche de la vérité ». Mais le journaliste du Parisien libéré Julien Heyligen dans la suite de son article intitulé « Dix ans après, l’attentat du RER B reste un mystère », observait que « si des similitudes dans le mode opératoire et le choix du lieu ont, à l’époque des faits, orienté les enquêteurs en priorité vers la piste algérienne, aucun élément formel n’est venu conforter cette hypothèse. Les traces matérielles sont quasiment inexistantes ».

A défaut, le contexte suggérait deux hypothèses. La première avait été formulée des 2005 par les journalistes Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire dans leur livre Françalgérie, crimes et mensonges d’Etat, publié par les éditions La Découverte (p. 491), qui défendaient la thèse d’un attentat islamistes téléguidé par le pouvoir algérien, comme ceux de 2015 : « le 4 (sic) décembre 1996, suite à des menaces d’Antar Zouabri, le nouvel ‘’émir national’’ du GIA, une énorme déflagration secoue le RER parisien à la station Port-Royal, à deux pas du boulevard Saint-Michel ». Et ils suggéraient une explication en lien avec l’actualité politique algérienne : « Interviewé à chaud juste après l’attentat, Abdelkrim Ould-Adda, l’un des plus hauts représentants du FIS en Europe, laisse entendre que le DRS a pu commanditer l’attentat : ‘’D’abord, il y a le référendum (du 13 novembre 1996), cette mascarade qu’il faut continuer à légitimer malgré le trucage évident des résultats et la protestation des partis d’opposition. Pour cela, il s’agit de faire diversion et de dissuader la France de se ranger du côté de l’opposition. Ensuite, il s’agit encore et toujours de discréditer les islamistes. Et pour cela, pas de meilleur moyen que de frapper en France’’ ». Mais les deux auteurs avaient eux-mêmes signalé auparavant que l’attentat s’était produit « alors que doit s’ouvrir à Paris le procès du « « réseau de Marrakech’’, ces jeunes beurs de La Courneuve qui assassinèrent des touristes espagnols sur le sol marocain en août 1994 ». En effet, ce procès allait s’ouvrir peu après, le 9 décembre, et durer jusqu’au 13. Les 34 prévenus, qui avaient participé à des attentats commis ou tentés à Marrakech, Casablanca, Fez et Tanger en août 1994, avaient été recrutés par Abdelilah Ziyad, un membre très actif du Mouvement de la jeunesse islamiste marocaine, qui avait été aussi en liaison avec des islamistes algériens. Quant aux deux principaux organisateurs des attentats de 1995 à Paris, les Algériens Boualem Bensaïd et Smaïn Aït-Ali Belkacem, ils ont nié à leur procès en 2002 savoir quoi que ce soit de celui du 3 décembre 1996.

Or du nouveau fut apporté par un article de Jean Chichizola dans Le Figaro le 13 janvier 2007. D’après celui-ci, « les enquêteurs de la brigade criminelle et de la DST sont pourtant persuadés d’avoir la bonne hypothèse... tout en doutant de jamais pouvoir la prouver judiciairement ». Il résumait ainsi leur version : « Le scénario, dressé en collaboration avec les RG parisiens est très simple : les poseurs de bombes sont venus de Belgique, ont déposé leur charge meurtrière et sont repartis aussitôt. Parmi eux, un chef réputé et une poignée d’anciens combattants des camps d’entraînement djihadistes en Afghanistan. Un petit noyau, alors inconnu des services de police et résidant en Seine Saint-Denis, leur a apporté une aide logistique. Selon les services algériens, un certain ‘’Azzedine’’ aurait joué un rôle important. Ces hommes auraient voulu frapper un grand coup à quelques jours d’un procès terroriste ouvert à Paris le 9 décembre », donc avant le procès du réseau islamiste marocain.

Il précisait ensuite les modalités de l’attentat : « Ce 3 décembre 1996 peu après 17 heures, ils sont trois à se présenter à la station du RER Roissy-Charles-de-Gaulle 2. A noter qu’un des suspects de Seine-Saint-Denis travaille à l’époque sur les lieux. L’un des terroristes fait le guet et les deux autres glissent avec difficulté sous une banquette de la rame KSOR 50, une bouteille de gaz de 13 kg con tenant un mélange de nitrate de sodium du Chili, de la poudre noire, du sucre, des clous et des écrous. Des bouteilles d’essence accompagnent l’ensemble. Ces fanatiques ont-ils aussi quitté la rame ou sont-ils restés à bord pour régler tranquillement leur engin ? Les policiers penchent pour la seconde hypothèse ».

Puis il ajoutait : « Des renseignements, non recoupés, recueillis dans les milieux de l’ex-Front islamique du salut (FIS), indiquent que les poseurs de bombes, arrivés de Belgique en voiture, auraient quitté le RER Gare du Nord pour regagner aussitôt Bruxelles. Leur objectif était peut-être de faire sauter la bombe à la gare Saint-Michel, cible hautement symbolique dix-huit mois après l’attentat du RER Saint-Michel en juillet 1995. La déflagration se produira finalement à Port-Royal, à 18 h 05, soit moins d’une heure après le départ du train de Roissy-Charles-de-Gaulle. Scénario convaincant, mais qui ne répond pas à une question troublante : pourquoi un seul attentat ? Volonté d’affirmer son leadership de la part du chef du commando ? Ce mystère-là demeure » [1].

Depuis, des faits nouveaux sont à signaler. En mars 2012, un homme « pouvant être en lien » avec l’attentat du 3 décembre 1996 avait été arrêté à Marseille, à la demande du juge Trévidic, mais selon le site de l’Association française des victimes du terrorisme, « les pistes ne sont pas probantes, malgré l’interpellation, en 2012, d’un émir du Mouvement de la Jeunesse Islamiste Marocaine (MJIM), susceptible d’avoir été en lien avec l’attentat sans y avoir participé » [2]. Puis le 10 décembre 2015, à la suite des attentats du 13 novembre à Paris, le magazine télévisé de France 2 Compléments d’enquête a révélé que Abdelilah Ziyad, l’ancien chef du MJIM condamné en 1996 à huit ans de prison et dix ans d’interdiction de territoire, mais libéré au bout de quatre ans et resté clandestinement en France, puis inculpé en 2010 par le juge Trévidic pour « complicité et recel de vols avec arme en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste », aurait été en 2009 le mentor de l’un des futurs terroristes du Bataclan, Omar Ismaïl Mostefaï, et qu’il prêchait encore sous un faux nom dans une mosquée de Troyes.

Ainsi, il semble que la vérité sur l’attentat du 3 décembre 1996 puisse un jour enfin apparaître. L’implication directe d’islamistes algériens semble désormais moins vraisemblable que celle d’islamistes marocains, même si ces deux milieux ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. En tout cas, la sanglante expédition d’un commando venu spécialement de Bruxelles à Paris pour poser une bombe et repartir aussitôt a perdu son caractère singulier depuis le 13 novembre 2015.

Guy Pervillé

Pour en savoir plus :

-  Catherine Erhel, Le procès d’un réseau islamiste. 9 décembre-13 décembre 1996. Paris, Albin Michel, 1997.

-  Ahmed Chaarani, La mouvance islamiste au Maroc. Du 11 septembre 2001 aux attentats de Casablanca du 16 mai 2003. Paris, Karthala, 2004.

[1] Jean Chichizola, « Attentat de Port-Royal : le puzzle terroriste reconstitué », Le Figaro, 13 janvier 2007, p 11 : http://www.lefigaro.fr/france/20070113.FIG000000676_attentat-de-port-royal-le-puzzle-terroriste-reconstitue/ .

[2] http://www.afvt.org/france-paris-attentat-contre-le-rer-port-royal/ .



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