Pierre-Cyril Pahlavi, La guerre révolutionnaire de l’armée française en Algérie, 1954-1961 (2004)

mardi 29 juillet 2008.
 
Ce texte a été rédigé pour servir de préface au livre de Pierre-Cyril Pahlavi, La guerre révolutionnaire de l’armée française en Algérie, 1954-1961, entre esprit de conquête et conquête des esprits , Paris, L’Harmattan, mars 2004, 176 p. Faute d’informations ultérieures, je ne suis pas sûr qu’il ait été publié avec ce livre, mais je le reprends ici parce que c’était ma première préface.

Pierre-Cyril Pahlavi est mieux placé que moi pour définir avec aisance et clarté, dans son avant-propos, les raisons qui lui avaient inspiré le choix de son sujet de maîtrise, en 1996, et qui justifient pleinement sa publication aujourd’hui. Cosmopolite par ses origines mêlées d’Orient et d’Occident, « turbo-étudiant » oscillant entre les universités de Montréal et de Nice et les archives militaires de Vincennes, il m’avait séduit lors de nos trop rares entretiens par ses qualités intellectuelles évidentes, son aptitude rare à définir et à diriger lui-même sa recherche, et sa capacité à considérer la guerre d’Algérie avec distance, comme un événement historique. Son approche d’historien et de politiste a le grand mérite de mettre en évidence la part considérable des facteurs psychologiques et politiques dans la guerre moderne, en même temps que les redoutables dérives idéologiques auxquelles cette idée juste a conduit une partie importante de l’armée française à l’occasion de la guerre d’Algérie.

Cet avant-propos, dans lequel je reconnais les termes mêmes de l’exposé de soutenance du 25 juin 1997, appelle pourtant une réserve sur un point : l’idée que « les synthèses historiques portant sur le sujet étaient rares ». C’était peut-être vrai au moment où Pierre-Cyril Pahlavi avait choisi son sujet, mais au moins deux thèses étaient alors en cours et ont été publiées depuis. Celle de Nicolas Kayanakis - à laquelle il est fait allusion- est l’œuvre d’un ancien combattant cruellement déçu et révolté par ce qu’il appelle une « victoire trahie », et relève davantage du témoignage que de la recherche distanciée. Celle de François Géré est celle d’un jeune « soixante-huitard » qui a découvert la guerre psychologique et révolutionnaire et qui a été contaminé par le virus des études stratégiques en participant au mouvement d’opposition à la guerre américaine du Vietnam à Paris en 1967 (je peux en témoigner, pour avoir été l’un de ses camarades de classe en hypokhâgne au Lycée Louis-le-Grand...). Mais il n’est pas étonnant que l’actualité persistante du sujet, au-delà de la « guerre froide » ait également motivé un jeune chercheur appartenant à une troisième génération.

La publication de son mémoire après celle des deux thèses déjà citées (auxquelles est venue s’ajouter celle qui a été soutenue en mars 2002 par Paul et Marie-Catherine Villatoux) se justifie néanmoins tout à fait par l’intérêt et l’utilité d’une synthèse concise et lumineuse, qui retrace l’élaboration d’une doctrine française de la guerre psychologique à l’issue de la guerre d’Indochine, puis sa reconnaissance et sa mise en œuvre officielles en France et en Algérie à la fin de la IVème République, son rôle décisif dans le changement de régime, et son désaveu inattendu par la Vème République. Je regrette pourtant, revers de ces qualités de clarté, une tendance parfois excessive à simplifier l’analyse au détriment des nuances : l’armée a-t-elle inventé sa propre doctrine politique, celle de l’intégration, ou bien lui est-elle restée fidèle alors que les gouvernements de la IVème République s’en éloignaient peu à peu ? L’armée dans son ensemble avait-elle choisi son candidat au pouvoir politique en la personne du général de Gaulle dès le mois de février 1958 ? Je serais moins affirmatif que Pierre-Cyril Pahlavi sur ces points. D’autre part, celui-ci aurait pu enrichir son mémoire en retraçant également la longue survivance de la doctrine anticommuniste de la guerre psychologique après sa condamnation officielle, d’abord parmi les chefs militaires passés à l’OAS, puis dans les écrits de théoriciens non-officiels comme le colonel en retraite Roger Trinquier ; sans oublier la variante doctrinaire catholique intégriste, illustrée notamment par le colonel Château-Jobert et par Bertrand Dupont de Dinechin.

Mais il s’agit là de simples regrets, qui n’entament pas la solidité et l’intérêt du brillant essai historique de Pierre-Cyril Pahlavi. Qu’il me pardonne donc de rappeler ces suggestions que j’aurais voulu pouvoir lui faire, si je l’avais plus souvent rencontré entre l’acceptation de son sujet et la soutenance de son mémoire...

Guy Pervillé,

(professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Nice, puis à celle de Toulouse-Le Mirail).



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